La santé sexuelle, genèse et usages d’un concept. Étude d’épistémologie historique, XIXe – XXIe siècles - David Simard

 

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Le concept de santé sexuelle a été institutionnalisé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les années 1970, alors que s’accroissaient les controverses entre la psychanalyse et le cognitivo-comportementalisme. La nouvelle définition de travail qu’en a proposé l’OMS au début des années 2000 a entériné l'approche cognitivo-comportementale articulée à l’utilitarisme, en l’inscrivant résolument dans la suite de son concept de santé comme état de bien-être. Ce concept mêle ainsi une dimension épistémologique à une dimension morale et sociale.Ce travail de recherche se propose d’éclairer les usages contemporains du concept de santé sexuelle en en retraçant la genèse, qui précède de loin son institutionnalisation par l’OMS. Nous remontons ainsi à ses premières occurrences dans la première moitié du XIXe siècle, alors que la santé désigne principalement l’absence de maladies.Nous adoptons une méthode d’épistémologie historique, avec un travail sur les textes de l’époque dans le champ médical anglo-américain et dans celui du continent européen. S’il est courant de mettre en question les concepts du champ médical et de celui de la santé, en particulier ceux touchant la sexualité, à partir d’un regard social qui met en évidence leur dimension normative et de biopouvoir, le présent travail se propose d’étudier le concept de santé sexuelle en menant une analyse interne aux champs dans lesquels le concept a été forgé et déployé. Sans contester la pertinence de l’abord socio-politique, le choix méthodologique qui fait droit à sa rationalité interne permet de mieux souligner ce qu’il peut y avoir d'irréductiblement normatif dans le concept de santé sexuelle.Ce dernier est donc analysé à l’aune du modèle scientifique dans lequel il émerge, à sa-voir la physiologie hygiéniste vitaliste. Cette genèse va dessiner son histoire jusqu’à aujourd’hui, alors que s’opposent une sexologie qui en fait son objet, et une médecine sexuelle mécaniciste qui s’y réfère aussi. L’histoire des épistémologies de la biologie éclaire non seulement la genèse et les usages du concept de santé sexuelle, mais aussi ses rapports au domaine de la pathologie sexuelle. Les oppositions de modèles épistémologiques se traduisent par des approches thérapeutiques différentes, sinon adverses, pour la conception et la prise en charge des problèmes sexuels. Ne se réduisant pas à l’absence de maladies sexuelles, la santé sexuelle selon l’OMS, holistique, entend recouvrir également le mental et le social, dans une démarche préventive et éducative en santé publique. Ce dernier point en souligne en outre la charge éthique, dans une optique eudémonique, que lui ont conféré dès le XIXe siècle ses usages hygiénistes.Ce travail permet ainsi à la fois : 1) de resituer le concept de santé sexuelle dans une histoire plus longue que celle qui la fait habituellement débuter après la Deuxième Guerre mondiale ; 2) d’enrichir l’historiographie de la sexologie, pour laquelle le concept de santé sexuelle est devenu majeur au XXIe siècle ; 3) d’interroger l’histoire de la sexualité telle que développée par Michel Foucault ; 4) d’éclairer les rapports du normal et du pathologique qui sont en jeu dans le concept de santé sexuelle et dans les controverses entre la psychodynamique et le cognitivo-comportementalisme ; 5) d’interroger l’idée selon laquelle les usages contemporains de ce concept participeraient de la médicalisation de la sexualité.